Cuvée R.E.M - Rouge 2022

01/04/23 Musique aucun

Retour aujourd'hui sur "UP", l'album le plus curieux et le plus atypique du groupe de rock indépendant américain R.E.M.
Paru fin 1998, ce onzième effort succède à trois des albums les plus fameux du combo ("Out Of Time", "Automatic For The People" et "New Adventures In Hi-Fi") qui les auront définitivement mis en orbite entre 1991 et 1996.
Mais pourquoi diable ce virage à 180°, pourquoi avoir cassé le moule, pourquoi avoir changé la recette du succès alors qu'il aurait suffit de suivre tranquillement la trajectoire imprimée par ces trois illustres prédécesseurs ?
Pour de multiples raisons, et c'est ce que nous allons voir tout de suite...

En 1991, à la sortie de "Out Of Time", R.E.M passe de l'underground au mainstream sans même l'avoir voulu ! En effet, devant l'immense succès de cet album mené par les tubes (involontaires) "Loosing My Religion" et "Shiny Happy People", producteurs et autres requins du métier s'empressent de leur proposer de passer à la vitesse supérieure... On imagine aisément : Des stades, des compromissions, du commercial, de la grosse cavalerie, bref, tout ce qui est contraire à la religion du groupe.
Leur réponse face à ce succès aussi soudain qu'inattendu est sans appel : Pas de tournée de promotion !
Bis repetita avec "Automatic For The People", considéré comme leur meilleur disque à ce jour : Pas de tournée non plus ! Na !
En 1994 sort "Monster", l'opus le plus rock de leur carrière. Devant un succès moindre, R.E.M repart sur la route avant d'enregistrer un album magnifique, tout aussi réussi que "Automatic For The People" mais en plus aventureux, une sorte d'aboutissement en quelque sorte : "New Adventures In Hi-Fi" en 1996.

A ce moment de leur carrière, répéter les mêmes recettes auraient nettement suffi à leur assurer un bel avenir. Mais c'est sans compter sur une certaine forme d'intégrité du groupe.
Alors pour "Up", l'album qui nous intéresse aujourd'hui, Stipe et ses acolytes décident de se renouveler et de casser les codes auxquels ils avaient habitué leurs fan jusqu'alors.

Cet album est également le tout premier à sortir après le départ de Bill Perry, le batteur originel. Ce détail qui n'en est pas un aura pour conséquence l'utilisation abondante de boites à rythme, et constitue un changement majeur dans le son et l'approche même de la musique de R.E.M.
De plus, les sessions se déroulent si difficilement que le groupe est sur le point de se séparer. Cette ambiance n'est évidemment pas sans conséquence quant à l'accouchement de ce disque.

Alors, dès le morceau d'ouverture "Airport Man", la surprise est de taille : On y entend une boite à rythme cheap qui bat la mesure sur des sons éthérés de clavier, une guitare informe, noisy, lointaine et surtout un chant murmuré du bout des lèvres, sporadique... De quoi dérouter même les non-fans du groupe !
Une entrée en matière qui marque une rupture totale avec le passé et qui fait pressentir que les surprises seront nombreuses tout au long des 64 minutes de cette œuvre pluvieuse, triste et mélancolique.
Attention cependant... il y a un piège : "Lotus" qui emboite le pas à "Airport Man" nous ramène en terrain conquis dès les premières mesures.
En effet, en plus de la présence d'une vraie batterie, les sons de guitare et de claviers sont typiques du R.E.M. classique que l'on connait, mais ce titre fait l'exception au beau milieu de tout le reste.
Car globalement, le son est assez teinté électro, les claviers de Mike Mills sont inhabituellement mis en avant, et la guitare de Peter Buck, elle, est plutôt en retrait avec des sonorités très fouillées pour ne pas dire bizarroïdes.

Dans cet album délicieusement maussade, quelques petits rayons de soleil pâles et timides viennent ça et là amener un peu de couleur à un ciel bien gris, à la manière de "At My Most Beautiful" ou "Daysleeper" qui trouveront un certain écho auprès du public.
L'écoute de l'ensemble de l'album pourra s'avérer difficile en raison de cette mélancolie chronique, mais quand on parvient à entrer pleinement en immersion dans ce "Up", on constate qu'il n'y a pas de faute de goût, que les morceaux sont tous pourvus d'un charme certain, et que la créativité de R.E.M est bel est bien vivante et toujours surprenante.
Le titre le plus injustement sous estimé et le plus décrié est sans nul doute "You're In The Air". Cette ambiance étrange née du mélange d'un arrangement de cordes et de sons de guitare noisy aléatoires va servir de toile de fond à Michael Stipe qui, lors des refrains, balaie avec brio les octaves des graves vers les aigus.
Quelques notes de mandoline ça et là nous rappellent brièvement la signature du groupe dans ce titre très touchant et mélancolique à souhait. Un joyau méconnu.
Dans ce contexte expérimental, certaines chansons se démarquent encore plus par leur bizarrerie comme "Hope", "Why Not Smile" ou "Falls To Climb", tout en restant accessibles et en ayant toute leur place dans cet ensemble noyé sous les couches sonores.

En 1993, U2 avait énormément surpris lors de la sortie de "Zooropa", tout comme Radiohead l'avait fait en 2000 avec "Kid A". On peut affirmer que "Up" est un peu le "Kid A" ou le "Zooropa" de R.E.M.
En 1999, lors d'une interview, Stipe déclarait : "Si ce disque est invendable et détruit notre carrière, tant pis".
Pari risqué, certes, mais qui n'avait pas détourné le public pour autant à l'époque, même si, à partir de ce moment là, l'inéluctable déclin s'est petit à petit amorcé pour finir par la fatale séparation en 2011.

"Up" est donc un disque atypique mais réussi, d'accès un peu difficile, très connoté fin années 90, à classer avec les albums de tous ces artistes qui ont pris un jour le risque de sortir de leur zone de confort...



 

Laisser une appréciation sur cet article...

Capcha
Entrez le code de l'image