Cuvée "Nothing Like The Sun" (Sting, 1987)

02/04/23 Musique aucun

En Septembre 1987 parait l'élégant "Nothing Like The Sun", le deuxième album solo de Sting. Ce disque, selon ses propres dires est dédié aux femmes au sens large, aux mères, aux filles, aux sœurs, aux épouses, aux maîtresses...
C'est aussi le temps des engagements politiques et des combats humanitaires.
Depuis la fin de l'aventure The Police, Sting, alors âgé de 36 ans à l'époque est totalement métamorphosé. Il s'est épanoui, et tout cela se traduit par le sérieux des thèmes qu'il aborde, mais aussi par la finesse de ses compositions musicales que vont transcender tout un gratin de musiciens exceptionnels.
Voici la revue détaillée de ce disque très classieux qui restera le témoin du point culminant de la carrière de l'ex-Policeman.

Déjà, en 1985, "The Dream Of The Blue Turtles" avait clairement annoncé la couleur. Sting avait atteint les limites du power trio, et il lui fallait s'échapper de cette prison dorée afin de canaliser cette créativité surabondante qui bouillonnait en lui en ce temps-là.
C'est donc entouré de prestigieux musiciens de jazz que Sting procède à l'enregistrement de son premier album solo, et la différence avec les productions de The Police est bien évidemment plus que saisissante. Moins rock, moins fou, jazzy, mature, adulte, les superlatifs ne manquent pas. Le succès est au rendez-vous, tout baigne pour Sting qui s'apprête alors à mettre en boite son deuxième album solo sur cette même lancée.

Cependant, deux évènements vont achever de le métamorphoser en profondeur. Le premier est le décès de sa mère. Atteinte d'un cancer et se sachant condamnée, elle a souhaité se porter volontaire pour "nettoyer Tchernobyl" suite à la terrible catastrophe nucléaire de 1986. Un comportement exemplaire.
Le deuxième évènement est celui de la naissance de son premier enfant. Sting a absolument tenu à assister à l'accouchement, et en a été fortement ébranlé. Il avait déclaré à ce sujet qu'il était "facile pour un père de prendre dans ses bras le nouveau né une fois propre et langé, mais la réalité est infiniment plus violente et profonde".
Ces deux chocs émotionnels l'on amené à reconsidérer totalement sa relation avec femmes.
Voilà donc pourquoi "Nothing Like The Sun" est dédié au courage et à la bravoure féminine. Petite anecdote, l'album a failli s'intituler "In Praise Of Women" (En l'honneur des femmes)...

Le nom définitif découle d'une mésaventure de Sting survenue un soir, dans une rue, alors qu'un ivrogne l'interpelle vivement:
- "How beautiful is the Moon, how beautiful is the Moon"? dit l'ivrogne.
Se sentant désemparé, menacé, Sting ne sachant quoi répondre lui récita le sonnet 130 de W. Shakespeare: 
- "My mistress eyes are nothing like the sun".
- "A good answer" répondit l'ivrogne, "A good answer"...
Puis il continua son chemin en titubant.

Alors va pour "...Nothing like the sun".
En ce qui concerne la musique, car c'est ce qui nous intéresse le plus, la liste des musiciens est impressionnante. Sting s'est décidément très bien entouré avec entre autres Manu Katché à la batterie, Mino Cinelu aux percussions, Brandford Marsalis au saxophone, Kenny Kirkland aux claviers, ou encore Dolette Mac Donald aux choeurs.
Côté invités, c'est du lourd aussi avec Annie Lennox (Eurythmics), Mark Knopfler, Eric Clapton et Andy Summers (The Police).
Voici une petite analyse titre par titre, car ce disque le vaut bien:

- "The Lazarus heart"
Plutôt enjoué, ce morceau ouvre les hostilités et nous fait bien sentir que l'on est sur la continuité de "The dream of the blus turtles". Il y a dans "Lazarus Heart" tous les ingrédients qui vont se retrouver tout le long du disque.
La clarinette de Marsalis est très présente, les percussions si caractéristique de Cinelu le sont aussi. La voix de Sting est toujours aussi magique, et c'est Andy Summers qui tient la guitare.

- "Be still my beating heart"
Toujours Andy Summers à la guitare pour une ambiance plus mélancolique, plus aérienne aussi, et des harmonies complexes.
Pourquoi situons-nous traditionnellement notre centre émotionnel dans le coeur et non dans un endroit du cerveau ? Pourquoi l'image la plus populaire en musique est celle d'un coeur brisé ?

- "Englishman In New-York"
Un incontournable du répertoire que l'on ne devrait plus présenter. Mais rappelons tout de même que cette chanson a été écrite pour Quentin Crisp, qui a quitté l'angleterre pour New-York au début des années 70, et qui a revendiqué haut et fort son homosexualité, ce qui constituait un acte de bravoure à l'époque.
Les phrasés de Marsalis à la clarinette sont inoubliables et font partie intégrante de la composition. La rythmique en contretemps est à la fois très efficace et élégante.
Un must.

- "History Will Teach Us Nothing"
Nous dirons que c'est un reggae assez original, arrosé à la sauce Sting. Les percussions géniales de Mino Cinelu à 3'54 amènent une légèreté inattendue.
L'histoire ne nous apprendra rien de plus. C'est exact, car l'être humain semble répéter depuis des siècles les mêmes erreurs...

-"They Dance Alone"
Cette chanson dénonce ouvertement la dictature de Pinochet au Chili, et décrit surtout comment des femmes Chiliennes endeuillées dansent seules avec une photographie (épinglée à leurs habits) de leurs maris, de leurs pères, de leurs fils, de leurs frères disparus à cause du régime politique.
Elles dansent le plus souvent devant les bâtiments gouvernementaux du pays en signe de protestation.
C'est Mark Knopfler et Eric Clapton qui gratouillent discrètement leurs guitares tout au long de ce morceau épique construit en deux parties.

-"Fragile"
Cette composition magnifique, empreinte de tristesse, est devenue incontournable dans le répertoire de Sting. C'est lui-même qui assure les parties de guitare durant l'enregistrement.
Au départ, cette chanson avait été composée pour rendre hommage à un ingénieur américain tué par les Contras au Nicaragua.
Mais les paroles rappelant combien nous sommes fragiles et que rien de bon ne naitra jamais de la violence, peuvent aussi s'appliquer à bien d'autres circonstances, comme par exemple celles des attentats du 11 septembre. Ce soir là, comme une évidence, le chanteur a débuté le set de son concert en Toscane par cette chanson.
"Tant que la pluie tombera comme des larmes d'étoiles, elle nous rappellera combien nous sommes fragiles".

-"We'll Be Together"
La verrue sur le nez du top model ! Ce titre s'est avéré plutôt efficace dans les charts, mais n'a pas vraiment sa place au milieu de cet album classieux, aux thèmes sérieux et adultes.
Un morceau de pop bien dispensable dont la présence est très certainement destinée à ratisser un large public.
C'est Annie Lennox de Eurythmics qui assure les chœurs.

-"Straight To My Heart"
Derrière cette mélodie vocale presque enfantine et ce rythme enjoué se cache une machinerie beaucoup plus complexe qu'il n'y parait. Les mesures sont asymétriques, les harmonies vocales riches, et, une fois de plus, Mino Cinelu fait des étincelles avec son kit de percussions, et ce, dès les premières secondes de l'intro.
Un morceau vraiment très réussi donc qui traite de l'engagement amoureux. Tout un programme.

-"Rock Steady"
Un blues diablement efficace qui prendra toute sa mesure en concert où il est question de méfiance envers les évangélistes au travers d'une métaphore décrivant une sorte d'arche de Noé.
Sting avait un oncle marin qui lui dit un jour: "Ne monte jamais dans un bateau si tu ne connais pas la destination exacte de celui-ci".
Une phrase lourde de sens, dont il est conseillé de s'en inspirer dans la vie de tous les jours...

-"Sister Moon"
Un morceau nocturne, jazzy, presque inquiétant, dédié à tous ceux que les phases de la Lune perturbe, voire influe sur leur santé mentale.
C'est ici que l'on peut entendre le fameux sonnet 130 de Shakespeare "my mistress eyes are nothing like the Sun".
Lors des concerts de 1988, de superbes versions rallongées jusqu'à plus de 8 minutes seront interprétées et donneront lieu à des improvisations de haute volée. Hélas pas de live officiel, mais des vidéos "potables" sont disponibles sur Youtube.

-"Little Wing"
Sting a eu deux chocs musicaux dans sa vie : Les Beatles et Jimi Hendrix. A l'âge de 15 ans, il assiste pour la première fois à un concert du Jimi Hendrix Experience à Newcastle et affirme encore aujourd'hui n'avoir jamais rien vu de tel.
Cette reprise athmosphérique de Little Wing est très réussie pour diverses raisons. Premièrement, l'adaptation qu'en a fait Sting est assez libre, et le son de la fin des années 80 lui va comme un gant, contre toute attente.
Ensuite, la voix du chanteur est totalement magique (comme toujours) et, cerise sur le gâteau, le guitariste Mark Egan signe un solo magistral qu'on ne se lasse pas d'écouter.
Bref, Sting a fait sienne cette superbe chanson du guitar héro noir américain en la transformant en un vibrant hommage. Il fallait se montrer digne, être à la hauteur du challenge. Mission accomplie.

-"The Secret Marriage"
Il s'agit d'une adaptation d'une mélodie du compositeur Hanns Eisler. Cette chanson clôt l'album de manière sobre, intimiste et minimaliste. La voix de Sting est posée sur quelques notes mélancoliques de piano, rien de plus.
Très classe pour une conclusion.

"Nothing Like The Sun" capture très certainement Sting à son apogée. La tournée 1988 fut mémorable, montrant l'artiste totalement transformé.
Cheveux longs, guitare rythmique blanche à la main, Sting remplira les stades à cette époque.
Il participera au méga concert du soixante-dixième anniversaire de Nelson Mandela cette même année, ainsi qu'à une tournée caritative au profit d'Amnesty International aux côtés de Tracy Chapman, Youssou N'Dour, Peter Gabriel et Bruce Springsteen.
Pour Sting, ce sera aussi l'époque des engagements politiques et environnementaux, comme par exemple son combat pour l'Amazonie pour ne citer que celui ci.

Quoiqu'il en soit, les albums suivants (The Soul Cages (1991), Ten Summoner's Tales (1993) seront encore de très bonne facture, sans toutefois atteindre le niveau de "Nothing Like The Sun".
Par la suite, l'inspiration commencera à s'émousser, comme en témoignera "Mercury Falling" (1996) ou "Brand New Day" (1999).
Pourtant, aujourd'hui encore, et ce malgré des productions moins percutantes, les concerts de Sting ne désemplissent pas.
Son secret ? Un répertoire si incroyablement riche qu'il en fait blêmir les artistes les plus talentueux.
Et puis surtout, comme il le dit lui même, sa voix si particulière donne à chaque chanson un charme irrésistible.
Ce n'est pas du boulard, c'est de la lucidité.

 






 


 


 

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